Lettre d’information n° 25 – mai 2017


Le Maroc, l’Algérie, la Tunisie sont, avec les Européens, les pays les plus proches de la France. Liés à celle-ci par l’Histoire, ils présentent pour elle un intérêt multiforme. Sa position y est centrale –même si elle subit la concurrence d’autres pays-.

Nos relations avec le Maroc, l’Algérie, la Tunisie doivent demeurer une forte priorité de notre politique extérieure. Pour ces pays, les rapports avec la France restent importants, mais on constate une certaine distanciation à notre égard. Sans être partout le même, l’islamisme s’y développe et correspond à un mouvement de longue durée.

            Entre les trois pays, comme avec la Mauritanie et la Libye, il n’y a pas de Maghreb uni. Maroc, Algérie et Tunisie ont chacun des caractéristiques en propre.

            Nos relations sont complexes, sujettes à variations et différenciées. Leur qualité a des répercutions de politique intérieure du fait de l’existence de plusieurs millions de citoyens français qui sont en provenance de ces trois pays et possèdent souvent la double nationalité[1]. La coopération est indispensable en matière de sécurité.

Le Maroc : un pôle de stabilité fragile

            Le Maroc a surmonté l’épreuve du Printemps arabe de façon exemplaire. Mohamed VI a réagi habilement en faisant approuver une nouvelle constitution avec notamment un élargissement des pouvoirs du premier ministre mais qui n’affecte pas l’essentiel des siens. L’armée, les services de renseignements et la politique étrangère continuent de relever directement de ce dernier. La récente crise le conduisant à imposer un premier ministre de son choix montre que le Maroc est encore très loin d’une monarchie constitutionnelle.

            L’ordre règne, avec des médias étroitement contrôlés, et la menace terroriste est contenue. Une politique résolument réformatrice et prônant un islam de tolérance et de dialogue vise à faire évoluer une société encore très conservatrice.

            Une politique de développement cohérente, financée en grande partie par des investisseurs étrangers et par une aide internationale notamment française, a permis la mise en place d’infrastructures de toutes sortes et l’amorce d’une industrialisation. Mais il y a des fragilités évidentes, en particulier une croissance insuffisante par rapport à la démographie, la persistance de grandes inégalités de ressources et un système éducatif médiocre. Des manifestations à caractère social ont parfois viré à la contestation politique. De nombreux Marocains ont rejoint Daesh ou Al-Qaïda.

            Avec une politique étrangère largement tournée vers l’Afrique, le Maroc est récemment retourné dans l’Union africaine sans qu’aucune concession n’ait été faite sur le Sahara. S’agissant de celui-ci, les régimes marocain et algérien veillent à ce que leur opposition ne s’envenime pas ; il pourrait en aller différemment avec des régimes moins stables.

            Par delà une brève crise en 2014, à la suite de poursuites engagées contre le chef des renseignements marocain, la relation franco-marocaine est dense et la présence française importante dans tous les domaines.

L’Algérie : un pays en transition

Le régime est caractérisé par l’emprise de l’armée et des services de renseignements malgré les efforts du président Bouteflika de s’en affranchir. Le FLN est incapable de passer le relai à d’autres que lui. Le Printemps arabe a été désamorcé grâce à quelques réformes « cosmétiques ». Bien que Monsieur Bouteflika soit physiquement très affaibli, il reste populaire, sa présidence perdure et la lutte pour sa succession se déroule dans l’opacité entre le clan Bouteflika, mené par son frère Saïd, les différents candidats civils potentiels, le DRS et le chef d’Etat-major des armées, Gaïd Salah.

Le souvenir de la guerre civile des années 90 est toujours dans les esprits. Ses séquelles et la politique de réconciliation de Bouteflika ont conduit à une islamisation de la société avec des partis islamistes sous surveillance. A noter, comme en Tunisie, une présence accrue des Frères musulmans. L’ordre règne sauf dans les massifs montagneux du nord et au Sahara où persiste un terrorisme résiduel.

Après le modèle « socialiste » une place a été laissée à l’initiative privée, mais celle-ci est largement soumise à l’Etat. Une nouvelle génération d’hommes d’affaires affiche un certain dynamisme sous son contrôle. Elle est davantage soucieuse de clientélisme que préoccupée par les inégalités sociales. Bien que connaissant un début d’industrialisation, l’économie algérienne, fortement dépendante des hydrocarbures, a sérieusement pâti de la chute de leur cours. Subventions et assistance généralisées sont les garantes d’une paix sociale servie également par une économie informelle importante.

            L’Algérie et la France entretiennent des relations complexes. La population affiche un réel attachement pour la France, elle suit l’actualité française à la télévision, elle souhaite s’y rendre facilement et y envoyer ses enfants faire leurs études. Mais l’insatisfaction demeure du côté algérien malgré les ouvertures faites vers la réconciliation par les présidents français successifs. Les Algériens ne manquent pas de dénoncer le « colonialisme » français et d’en réclamer la repentance.

La Tunisie : en marche vers la démocratie ?

La Tunisie représente le seul exemple réussi des révoltes arabes. Une constitution moderne a été mise en place, des élections législatives ont été organisées à deux reprises et un gouvernement de coalition a été constitué avec plusieurs partis dont Ennahdha. La société civile a joué un rôle essentiel dans ces évolutions.

            Cependant le nouveau système reste fragile. Les tensions sont fortes notamment au sein du principal parti laïc Nidaa Tounes tandis qu’Ennahdha parfaitement organisé renforce son influence. D’autre part la menace terroriste reste présente, deux graves attentats ont eu lieu. Plus de cinq mille Tunisiens ont rejoint Daesh.

            L’économie tunisienne est gravement sinistrée : chute de la fréquentation touristique avec l’insécurité, mouvements sociaux, attentisme des investisseurs.

            La relation avec la France est bonne. Depuis 2012, elle a apporté un soutien discret à la mise en place des nouvelles institutions et elle a incité les sociétés françaises à ne pas quitter le pays. Elle a apporté des financements à travers l’Agence française de développement et appuyé les demandes tunisiennes auprès des institutions financières internationales.

Des recommandations communes

La France doit mener une politique différente selon les trois pays mais avec un certain nombre de points communs pour tous :

  • maintenir avec eux des relations également amicales et équilibrées ;
  • éviter tout ce qui peut apparaître comme une ingérence entre les affaires intérieures et donc une atteinte à leur souveraineté ;
  • consolider notre présence économique face à la concurrence de nos partenaires européens, mais également de la Chine. Au Maroc, cette présence est déjà très importante, il convient de la préserver. La relance possible des relations économiques avec l’Algérie devrait être accompagnée d’un apport de financement, en particulier de l’Agence française de développement.
  • renforcer la coopération en matière de sécurité au niveau des armées, des polices et des services de renseignements ;
  • développer les relations avec les sociétés civiles sous toutes leurs formes et à tous les niveaux ;
  • structurer davantage le mécanisme des cinq plus cinq entre la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et Malte d’une part et les cinq pays du Maghreb d’autre part.

Enfin la France pourrait davantage agir auprès de l’Union Européenne afin qu’elle respecte les engagements qu’elle a pris au lendemain des printemps arabes notamment s’agissant d’une aide financière à la Tunisie


[1] A noter également la question des rapports des Maghrébins en France, spécialement des Marocains et des Algériens, avec les communautés religieuses. Depuis 1982, la gestion de la Grande Mosquée est confiée par la France aux Algériens. Mais l’émigration marocaine est plus salafiste que l’algérienne. Un accord a été passé avec le Maroc pour assurer en France la formation des imams, jusque là essentiellement le fait de l’Arabie Saoudite.

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