Lettre d’information n° 22 – février 2017
Depuis dix ans, le monde a profondément changé et le changement ira en s’accélérant, en particulier avec l’élection de Monsieur TRUMP aux Etats-Unis. C’est une époque nouvelle qui s’annonce. Or pendant les quinquennats de Messieurs SARKOZY et HOLLANDE, la France a été de moins en moins écoutée, tandis qu’elle perdait l’intelligence des situations qui était l’une de ses caractéristiques majeures.
Pour que la France retrouve rapidement sa place et son rôle, il paraît éminemment souhaitable qu’elle revienne aux principes de base qui étaient ceux de sa politique étrangère. Il importerait qu’en outre le nouveau Président de la République, quel qu’il soit, marquât dès le début les grandes orientations d’une nouvelle politique française concernant les Etats-Unis, la Russie, l’Allemagne, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Enfin les relations avec les pays émergents, notamment d’Asie et d’Amérique latine, ne devraient plus constituer un domaine secondaire pour notre diplomatie.
Principes de base
- L’indépendance nationale : fondamentalement la politique étrangère est affaire de souveraineté.
- La France n’est pas seule. Son action internationale s’inscrit en particulier dans le cadre d’un projet européen.
- La France ambitionne de peser à sa mesure sur l’avenir de notre planète, la paix, le développement. Sa politique étrangère est aujourd’hui autant qu’hier une politique à vocation mondiale.
- La France est réaliste. Elle accepte comme interlocuteurs ceux qui comptent et pas seulement ceux qui lui plaisent. Elle prend le monde tel qu’il est, même lorsqu’elle souhaite contribuer à le réformer.
- La France sait que, pour parvenir à ses fins, elle doit s’appuyer sur une économie forte et sur une défense assurée.
Allemagne
Les rapports entre la France et l’Allemagne se fragilisent. Les dirigeants des deux pays n’ont pas la même référence du passé que leurs prédécesseurs. La France n’a pas rempli pleinement ses obligations sur le plan économique. L’Allemagne a pris unilatéralement ses décisions en matière d’énergie (abandon du nucléaire, développement du charbon) ou pour les réfugiés et l’accord avec la Turquie. Or, dans le nouveau contexte international, les deux pays ont plus que jamais besoin l’un de l’autre. Il importe de réagir.
Il y a d’abord des questions qui demanderaient sans tarder une concertation renforcée en vue de positions communes. Ce sont en particulier l’Ukraine, le BREXIT –Berlin est pour une attitude de fermeté afin d’éviter que la contagion ne gagne des pays de l’Est de l’Europe-, la relance de la construction européenne, la question des migrants, le Moyen-Orient, etc. Il s’agirait aussi de l’attitude à adopter à l’égard de Monsieur TRUMP et face à la perspective d’un rapprochement, même limité, entre Washington et Moscou.
D’autre part, mais ce pourrait être seulement après les élections allemandes, il y aurait lieu de faire le bilan critique de nos relations bilatérales, de rechercher les moyens de les améliorer, et également de les étendre à des domaines comme la cybernétique de défense et le renseignement.
Europe
Près de cinquante ans après la signature du Traité de Rome, dans un monde transformé, la construction européenne est en crise. Les peuples s’en désolidarisent, la Grande-Bretagne quitte l’Union Européenne, les pays d’Europe de l’Est refusent, en matière d’émigrés, d’appliquer la règle commune. Première puissance mondiale sur le plan économique, l’Europe n’a plus un rôle en proportion dans les affaires du monde. Il y a urgence à repenser la construction européenne.
Les institutions de Bruxelles devront être associées à cette relance, mais elles n’ont pas la légitimité démocratique nécessaire pour la conduire. La responsabilité en incombe d’abord aux Etats-membres. Toutefois une conférence de refondation à vingt sept ne paraît pas pouvoir aboutir. Les six pays d’origine, spécialement la France et l’Allemagne, sont les plus fondés à faire les propositions nécessaires qui seront ensuite discutées entre tous.
La relance de la construction européenne devra porter sur les institutions existantes et les rapports entre les Etats et ces institutions, en particulier l’application du principe de subsidiarité. En matière économique, les efforts auraient en priorité à être concentrés sur l’euro zone et viser aux harmonisations fiscale, budgétaire et sociale. Sur ce dernier point, dès à présent, la France pourrait proposer à l’Allemagne de réfléchir ensemble à une sorte de programme contractuel sur quinze ans de l’Union Européenne comportant un calendrier précis avec des dispositions d’application immédiate.
En matière de défense et de politique étrangère, les bonnes intentions ne sauraient suffire. Les choses étant ce qu’elles sont, seule, pour l’une et pour l’autre, la constitution d’un « noyau européen » semble pouvoir être envisagée avec la France, l’Allemagne et quelques autres pays –dont la Grande-Bretagne pour la défense bien qu’elle ne participe plus à la construction européenne-.
La réforme de la construction européenne et la définition d’une nouvelle politique étrangère constituent deux objectifs indissociables.
Etats-Unis
Il serait d’autant plus inopportun de continuer de pratiquer à l’égard des Etats-Unis le suivisme de Messieurs SARKOZY et HOLLANDE que la politique de ceux-ci ne sera plus désormais ce qu’elle était. Il faut en revenir à une politique d’alliance dans l’indépendance.
Face à la nouvelle administration américaine, encore assez imprévisible, la France devra faire preuve de pragmatisme. Il est encore trop tôt pour apprécier exactement ce que seront les orientations et décisions du nouveau Président. Mais il est d’ores et déjà évident que pour Monsieur TRUMP l’Amérique sera toujours la première de ses préoccupations et qu’il se sent peu concerné par le destin du reste du monde. La France et l’Europe devront donc prendre en mains davantage encore leurs propres intérêts économiques, politiques et de défense.
Russie
L’une des priorités de notre politique étrangère devra être de reconsidérer nos rapports avec la Russie. Il faudra le faire sans angélisme, mais dans un esprit nouveau dépourvu de l’esprit de guerre froide qui marque encore l’attitude de l’OTAN et de certains au sein de l’Union Européenne.
L’établissement de nouvelles coopérations avec Moscou implique d’abord l’instauration d’un nouveau climat entre les deux pays. A cet effet, la France devrait veiller à ce que le développement de l’accord d’association euro-ukrainien soit compatible avec les intérêts légitimes de la Russie et ne vise pas à créer une zone d’influence exclusive en faveur de l’Europe. Il ne s’agit pas de donner un droit de véto à Moscou, mais de créer les conditions d’une discussion raisonnable sur des bases communes. D’autre part la France déclarerait qu’elle s’opposerait à tout nouvel élargissement de l’Union Européenne et de l’OTAN, y compris à l’Ukraine. Il serait enfin possible de parler des sanctions, mais leur levée effective ne pourrait pas se faire sans contrepartie. Moscou pour sa part devrait donner des preuves concrètes d’application de Minsk 2.
Sur un terrain ainsi déblayé, un dialogue pourrait s’ouvrir entre Paris et Moscou, d’une part sur le développement des relations bilatérales, économiques, techniques, scientifiques, culturelles, etc., et d’autre part sur tous les grands problèmes internationaux à commencer par ceux de la Syrie et du Moyen-Orient.
L’intérêt de la France est que la Russie s’arrime à l’Europe, une large coopération entre les deux pays favoriserait l’instauration d’un partenariat entre Moscou et cette dernière.
Moyen-Orient
Après que Monsieur Bachar El-ASSAD l’a emporté à Alep, avec l’aide de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, Moscou se veut conciliateur. Il a réuni à Astana au Kazakhstan, avec ses alliés turcs et iraniens, des représentants du régime de Damas et des représentants des oppositions hormis les djihadistes. La réunion n’a eu qu’un succès partiel, mais un processus, pour fragile qu’il soit, est engagé, avec le soutien tacite des Etats-Unis. Les Russes n’ont pas les moyens de reconstruire seuls la Syrie. Ils ont des problèmes avec l’Iran. Mais les Saoudiens seraient prêts à accepter une solution d’ambiguïté. Il y a peut-être une fenêtre d’opportunité.
La France, par son attitude depuis le début du conflit syrien et en continuant de faire de l’éviction de Bachar El-ASSAD le préalable de tout règlement, ne peut guère avoir d’influence dans la recherche d’une solution. En revanche, elle peut retrouver dès maintenant un rôle en engageant sans délai un dialogue avec tous les pays de la région, en particulier pour éviter que ne s’aggrave l’opposition entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, et plus généralement pour réfléchir à ce que pourrait être à terme un Moyen-Orient transformé.
Touchant le problème israélo-palestinien, la France, face aux dérives possibles de la nouvelle politique américaine en faveur d’Israël, devra tenir plus que jamais la position équilibrée définie par le Président MITTERRAND à la Knesset en 1982. Le principe de la reconnaissance de l’Etat de Palestine a été décidé en 1999. La reconnaissance effective ne saurait être différée trop longtemps sans compromettre la solution des deux Etats.
Enfin, la France se doit d’être vigilante quant à l’application de l’accord nucléaire avec l’Iran.
Afrique
L’Afrique évolue rapidement, tandis que de tierces puissances y sont de plus en plus actives. Au cours du présent quinquennat, la France a su adapter sa position militaire. Pour le reste, son influence décline continûment. L’Afrique est préoccupante par sa démographie incontrôlée, mais elle a un potentiel considérable de croissance. Elle doit être une priorité de l’action extérieure de la France.
Il
importe, à partir d’une vision d’ensemble renouvelée, de
« réinvestir » dans tous les domaines : culturel dont
l’audiovisuel, éducatif, économique –en incitant les entreprises à s’intéresser
de nouveau à l’Afrique qu’elles ont délaissée-, sécuritaire enfin –le
terrorisme s’étendant à l’ensemble du continent-. La francophonie doit être un
point fort de cette nouvelle politique, c’est en Afrique que se joue l’avenir
de notre langue.
Amérique latine
L’attitude du Président TRUMP à l’égard de l’Amérique latine (remise en question du traité de l’Alena, prolongation du mur érigé à la frontière avec le Mexique…) crée une situation nouvelle qui nous fait davantage obligation encore de marquer notre intérêt pour ce continent avec lequel nous avons d’évidentes affinités culturelles et dont le potentiel de croissance est considérable.
Faute pour l’Europe de l’accompagner, l’Amérique latine se tournera vers l’Asie et le Pacifique.
Asie
La France a des rapports bilatéraux avec la Chine, l’Inde, le Japon, le Vietnam, etc. ; mais la somme de ces rapports ne constitue pas une politique d’ensemble. Elle se veut une puissance mondiale, elle n’a pas de politique asiatique. Son influence dans quasiment tous les domaines fléchit continûment tandis que l’importance de l’Asie ne cesse de croître.
Il conviendrait de faire l’analyse critique des raisons pour lesquelles, en particulier dans le domaine économique, nous n’avons pas la même réussite que des pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie. Dans ce domaine, mais aussi en matière culturelle, nous ne savons sans doute pas innover suffisamment dans les méthodes et les cadres de coopération. Pour ce qui concerne la politique, nous semblons avoir renoncé à jouer un rôle, pourtant il n’en allait pas de même quand le Général de GAULLE fit son discours de Phnom Penh ou quand François MITTERRAND amorça un dialogue politique avec le Japon.
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Vaste programme. Mais sans une nouvelle politique, la France s’exposerait à perdre peu à peu toute part dans le traitement des affaires d’un monde en profonde transformation.